jeudi 17 mai 2018

ARSULE - interview mai 2018

Un vent nouveau souffle sur la scène Ambiant/Dungeon en France et amène avec lui son lot de surprises parmi lesquelles on retrouve ARSULE : un projet teinté de romantisme que nous présente Marine, créatrice d'ambiance à l'âme passionnée... 

Bonjour Marine, tu es une nouvelle venue dans la scène Dungeon Synth mais à l'écoute de ton premier jet, je n'ai pas eu l'impression que tu étais si novice que ça. Parle-nous un peu de ton parcours musical. ? Quels sont les groupes qui t'ont donné envie de te lancer dans ce style si atypique ? 

D’abord, merci beaucoup. Et pourtant ! Je suis assez novice en musique, je n’ai pas vraiment de connaissances en solfège et je n’ai jamais été capable de jouer d’un instrument. J’ai essayé la guitare il y a longtemps, mais je n’étais pas régulière, je ne prenais pas de plaisir, je voulais tout de suite pouvoir composer mes propres morceaux. J’ai très vite abandonné. La voie par laquelle j’ai été amenée e à faire de la musique est bien plus tortueuse. Quand j’étais adolescente, je faisais partie de la communauté making, qui rassemblait divers créateurs de jeux-vidéos type rpg old school (grâce au logiciel rpg maker). Je suis tombée amoureuse de deux jeux amateurs « Caves » et « Shadows of the sun », réalisés par deux frères, Valv et Pagno. Je ne saurais que conseiller ces jeux au charme sans égal. Ils faisaient tout eux même, et j’ai appris que la musique avait été également réalisée par leurs soins grâce à un petit logiciel MIDI. Plusieurs années plus tard, j’ai téléchargé ce logiciel et j’ai commencé à composer des mélodies dessus. Ça sonnait très vieux jeu-vidéo mais rien de bien fameux. J’ai fait une pause de plusieurs années avant de m’y remettre l’été dernier pour composer des morceaux un peu plus aboutis. J’ai découvert le dungeon synth dans la foulée avec Fief. Pour être honnête je ne connais pas grand chose en dungeon synth, ça fait environ un mois que je commence à me forger une culture dans le domaine.

Mon plus gros coup de coeur revient à Lunar Womb avec « The Sleeping Green ». C'est de la magie à mes oreilles. Beaucoup de groupes m’inspirent, et pas forcément dans le dungeon synth. Je peux notamment citer Dead Can Dance, Coil et Dvar. Un trio hétéroclite à la discographie monstrueuse ! Je ne m’inspire jamais directement d’un artiste, je subis diverses influences plus ou moins conscientes et mon cerveau infuse tout ça avant de le faire ressortir par un médium artistique. 

Celui qui m’a véritablement amenée au dungeon synth c’est Stuurm, le fondateur du projet Gargoylium. Je lui dois beaucoup. Je l’ai rencontré il y a trois mois environs, je lui avais fait écouté les petits sons que j’avais bidouillé et il a tout de suite décelé un potentiel. Il m’a encouragée à persévérer et à passer à un logiciel plus pro. C’est à partir de ce moment que j’ai vraiment commencé à faire de la musique. Je n’aurais jamais fait tout ça sans lui, il a vraiment été l’élément déclencheur. Tout a été très rapide ensuite. J’ai voulu me mettre au dungeon synth, car avant ma musique était un peu « bâtarde » et peu recherchée. J’ai fait une piste « test » après avoir analysé un morceau de Fief, histoire d’ingurgiter un peu les codes du genre. Et puis suite à ça « La Cité Enfouie » est née. J’ai d’ailleurs du mal à réaliser que je suis vraiment l’auteure de cet album, tellement c’est allé vite. 

Musicalement, dès qu'on écoute "la Cité Enfouie", il y a quelque chose de "frais", de "neuf", que je ne parvenais pas à définir par rapport aux autres oeuvres lambda du style... et puis je me suis dit, est-ce que ce serait une touche féminine ce petit + ? Comment définirais-tu ta musique à quelqu'un qui n'a jamais écouté Arsule ? 

Merci, encore une fois. Je reconnais que ça sort un peu de ce qu’on peut entendre habituellement, du moins tu n’es pas le premier à le dire. Ce n’est pas impossible que ce soit dû à une touche féminine. C’est vrai que les femmes dans le dungeon synth sont une espèce rare. D’ailleurs j’aimerais beaucoup qu’elles soient mieux représentées ! Mais bizarrement, quand je crée, je ne me sens ni femme, ni homme, je suis simplement envahie par l’énergie créatrice, qui elle n’a pas de genre. J’oublie qui je suis, pour paradoxalement produire quelque chose de profondément marqué par mon ADN. Je pense aussi qu’il y a plus de différences de sensibilité d’un individu à l’autre qu’entre les homme et les femmes en général. Je crois bien que ma méconnaissance du dungeon synth m’a aidée à créer quelque chose d’un peu différent. Je n’en ai toujours fait qu’à ma tête dans tous les domaines artistiques (je dessine également, j’écris et je travaille le cuir, entre autre). J’ai toujours eu une volonté de m’affranchir des codes, je n’aime pas les cases, c’est enfermant. Et il y a une bonne raison à ça, c’est que les codes m’échappent la plupart du temps, j’ai du mal à les comprendre et à les appliquer correctement. Je sais bien que je prends les choses dans le mauvais sens, il faut déjà maîtriser les codes pour mieux s’en affranchir. Mais je n’ai jamais pu m’empêcher de brûler des étapes et je m’adonne à la création sans concessions. Je vais faire un parallèle avec le cinéma. Je ne peux qu’admirer Orson Welles, qui, avec son premier chef d’œuvre Citizen Kane, a révolutionné le cinéma en étant le premier à utiliser certains plans. Il a simplement expliqué que dans ses débuts, il méconnaissait la technique, et que pour lui une caméra devait pouvoir faire ça. Alors il l’a fait. 

Arsule n’est pas un projet défini. Je n’ai même pas encore déterminé les limites de mon univers. Entre « La Cité Enfouie », « L’amour est morte » et « Le cortège dans la brume », il y a un gouffre. Et mon prochain album sera encore différent. Mais je peux essayer de définir le style de « La Cité Enfouie », puisque c’est ce qui est le plus apprécié en général et aussi le plus accessible. D’abord c’est du dungeon synth, un genre musical né du black metal que j’explique souvent ainsi aux novices : ça ressemble à de la musique de jeu-vidéo old school avec des influences médiévales et des synthétiseurs. « La Cité Enfouie » a toutes les caractéristiques d’un premier album, authentique, naïf et généreux. J’espère d’ailleurs que ma musique va gagner en maturité au fil du temps. Ce que l’on peut remarquer dans cet album ce sont des mélodies fortes et entraînantes, des rythmes presque tribaux et des ambiances riches en images. Chaque piste évoque un lieu ou un acte et possède son identité propre, même s’il demeure une unité un peu miraculeuse que l’on peut attribuer à une sorte d’aura mystique. Pour être honnête je me sens très détachée de tout ce que je crée, mais ça ne me rend pas objective pour autant. Certains jours je trouve ça bon, d’autre fois ça ne me plaît plus. 

Parle-nous un peu du thème derrière la cité enfouie. Dans quels décors voudrais-tu emmener tes auditeurs ? 

J’ai toujours été fascinée par les grottes. L’idée d’une cité antique enfouie dans les tréfonds d’une caverne relève d’un romantisme certain. La grotte est un lieu terriblement mystérieux et spirituel. Elle est cachée et semble nous rapprocher des profondeurs de la Terre. Ses décors baroques sculptés par la Nature durant des millénaires nous invitent à découvrir un autre monde, hors du temps et hors du réel. Dès la Préhistoire, on y pratiquait l’art. On pense évidemment aux peintures rupestres. Mais nul doute que la réverbération naturelle qu’elle peut offrir, laissait place à une musique primitive, probablement tournée vers le divin. La grotte est également la métaphore de notre être intérieur. Aussi, selon moi il y a une mise en abîme dans cet album. Écouter de la musique a toujours été une activité très personnelle pour moi, je vis la musique. Et le fait de ne pas être capable de partager ce vécu m’attriste. J’ai voulu un album que l’on puisse écouter de façon intime, afin que l’auditeur voyage dans son monde intérieur. Les titres évoquent des lieux mais c’est à chacun de les recréer dans son cinéma mental. L’album est une exploration, une traversée empreinte de rêveries romantiques, mais aussi une métaphore de l’introspection.


Il y a également des références à l’Antiquité grecque, période qui a tendance à exercer une certaine fascination sur moi…

Les deux premiers morceaux préparent au périple. « La source » est la raison de partir, elle évoque plus des sentiments mêlés, partagés entre la lumière et la mélancolie, qu’un lieu à proprement parler. « La procession des Hauts Flambeaux » est le rituel nocturne qui vous amène à découvrir la cité enfouie. « Les portes » sont imposantes, elles sont bien postérieures à la cité, elles avertissent et dissuadent. Je les vois comme les portes d’une immense cathédrale. « L’allée du peuple pétrifié » est une allée de statue qui fait référence à Méduse. On ne sait pas trop ce qui s’y est produit, c’était il y a si longtemps ! Je pourrais déblatérer encore longtemps mais je crois que je vais m’arrêter là, car c’est à chacun d’imaginer la suite. J’aimerais que ça reste propre à chacun.

Arsule est un nom qui me dit vaguement quelque chose... étant bibliothécaire j'ai juste le souvenir qu'il s'agit d'un personnage du roman "Regain" de Giono, est-ce là ton inspiration ? Je me trompe peut-être... 

C’est bien la bonne référence ! Tu es probablement le seul à connaître. J’ai appris que c’était aussi un prénom indien. J’ai choisi ce nom car je voulais quelque chose qui n’évoque pas grand chose, si ce ne sont des sonorités un peu brutes et proches de la terre. Pour moi Arsule pourrait très bien être le nom d’une sorcière (et ça me plaît). Cette absence de référence à l’imaginaire collectif me permet plus de libertés. Je peux élargir mon monde comme je le souhaite. Sinon j’ai adoré « Regain », c’est l’un des livres que j’ai le plus aimé lire. C’est la poésie du monde rural, une perle brute et méconnue. On ne peut pas faire plus authentique que ça et en même temps c’est de la grande littérature ! Le personnage d’Arsule est très attachant. Elle représente un idéal de féminité pour moi. Je ne parle pas de la « féminité de consommation » que l’on nous martèle à tous les niveaux de la société. 

On n'est pas fan de Dungeon Synth sans aimer la fantasy... Que lis-tu en ce moment ? Cite-nous trois livres que tu recommandes chaudement à nos lecteurs. 

Alors malheureusement je vais te décevoir… J’aime la Fantasy mais je n’en lis pas. J’avais beaucoup aimé le Silmarillon tout de même, mais c’est peut-être le seul ouvrage du style que j’ai dû lire. Ah si, j’ai lu une partie des Annales du Disque Monde de Terry Pratchett, un délice ! Je lis très peu et pourtant j’aime au plus haut point la littérature. J’aime particulièrement les belles lettres. Ça risque de choquer mais j’ai l’impression que dans la Fantasy, l’aventure prône sur la littérature. Je suis très admirative des styles de Flaubert et de Proust. Flaubert retranscrit des ambiances avec une précision impressionnante, aucun mot n’est laissé au hasard. On s’y croirait ! Et en même temps il y a toujours une double lecture, une portée symbolique. Proust est plus difficile à suivre mais quand on y parvient, quelle expérience extraordinaire ! Il a ce don de plonger au plus profond des émotions humaines. Il a cette sensibilité exacerbée qu’il parvient à exprimer avec des mots, c’est assez incroyable. 

Je vais quand même conseiller trois livres : « Regain » de Jean Giono, « L’âge de raison » de Jean-Paul Sartre et « L’étranger » d’Albert Camus. 

La scène française de Dungeon commence à devenir une petite famille bien remplie, où on a l'impression que tout le monde s'entraide sans fausse retenue. Katabaz records compte d'ailleurs sortir une compilation des meilleurs groupes en France, y participeras-tu ? 

Oui, c’est une communauté bienveillante et j’aimerais participer activement à soutenir les autres projets. Il y a beaucoup de gens talentueux dans le dungeon synth français. Et oui, bien sûr je vais participer à la compilation de Katabaz Records, avec « La source ». Je suis très honorée de pouvoir en faire partie en dépit du fait que je viens tout juste de débarquer. Je trouve que c’est une superbe initiative ! 

Si ce n'est trop privé, peux-tu nous parler de ta philosophie de vie ? Quels sont les choses auxquelles tu crois et qui te portent dans la vie de tous les jours ? 

C’est une question compliquée pour moi. Tout ce que je vais dire est susceptible de changer avec le temps. Je n’ai pas clairement établi de philosophie de vie. À 25 ans, il serait peut-être temps de m’y mettre ! Ce qui me porte c’est l’intensité, autant dans les relations humaines que dans l’expression artistique. Je crois que je cherche toujours à fuir un monde qui m’attriste profondément. J’ai envie d’être émerveillée et stimulée, j’ai soif de découverte et d’aventure. Mais avec le temps, j’ai perdu tout ça au profit d’une sorte de résignation mélancolique. Jusqu’à il y a peu, je me sentais vide, morne, et sans consistance. Je me suis endormie comme un volcan, mais ça bouillonne toujours en profondeur. J’attends encore d’être réveillée, même si ça va un peu mieux depuis que je fais de la musique. Je suis une personne très rationnelle à la base, je ne crois pas en grand chose. Je crois qu’on a pas d’autre choix que de composer avec la réalité qui nous est offerte. Mais avec le temps je deviens moins raisonnable et je donne plus d'importance à mes fantasmes. L’esprit humain me fascine, dans tous ses extrêmes et dans toute sa splendeur. J’aime les choses qui nous échappent, tout ce qui dépend de la perception et de l’inconscient. Je suis extrêmement sensible aux atmosphère des lieux et de la vie qui s’y trouve. J’aime autant la recherche de la vérité que le voile de mystère qui demeure sur les choses inexplicables, ça laisse de la place à l’imagination. J’aime bien me dire que tout fonctionne à la façon d'écosystèmes enchevêtrées les uns aux autres. Je crois également qu'il y a une forme de magie dans la matière. 

Avec "le cortège dans la brume", ta dernière réalisation, on a senti un retour aux sources "volontaire" vers un Dungeon Synth des origines que ne renierait pas Mortiis et autre Depressive Silence. Faut-il y voir un one-shot ou une inspiration pour de futures réalisations ? 

Oh, c'est très flatteur, merci. Pour l'instant il s'agit d'un one-shot. L'album que je prépare sera dans une veine très médiévale, donc rien à voir. Mais j'ai quand même l'intention de me replonger dans les origines du genre, dans un avenir plus ou moins proche. 

Apparemment, certains lecteurs aiment bien quand je fais ce quizz ... (attention, un seul joker !) 

1. Mortiis ou Erang ? Pour être honnête j’ai de l’admiration pour les deux mais je n’en vénère aucun. Pour l’un comme pour l’autre, je sais que c’est du bon, mais ce n’est pas entièrement ma came. Quoi que ça dépend des albums et je suis loin d’avoir tout écouté. Mortiis est un pionnier mais j’ai quand même une préférence pour l’univers d’Erang, qui me semble plus ouvert. Il a une nostalgie qui me touche et j’aime son esprit ;

2. Elfes ou nains ? Nains, car ils habitent dans des cavernes et que les elfes sont trop propres sur eux ;

3. Bières belges ou françaises ? Belge sans aucun doute, quoi que la France se défend bien. Par contre je suis également amatrice de vin rouge, domaine où la France excelle plus que nul autre, pardon pour nos amis belges ;

4. Les mondes engloutis ou les cités d'or ? 
(remarque que les deux ensemble se rapprochent du titre de ton album) ?
Oui, ce n’est pas un fantasme qui m’appartient, je n’ai rien inventé, haha. Je dirais les cités d’or puisque je ne connais pas les mondes engloutis. (Remarque, ce n’est pas de ma génération !)  ;

5. Tolkien ou Moorcock ? Tolkien. Je l’admire beaucoup pour avoir créé un univers immense et complexe au point d’avoir inventé des langues. C’est un écrivain total, un génie qui mérite amplement tout le respect qu’on lui voue ;

6. Baudelaire ou Rimbaud ? Joker ! Les deux sont des bêtes de poésie que la Terre a rarement eu l’occasion d’enfanter. Ils sont très différents mais en placer aucun au dessus de l’autre serait un crime. Rimbaud détient un charme inégalable quand Baudelaire détient les clefs de la beauté ; 

7. Romantisme ou Fantasy ? Je sais que peu sont d’accord avec moi, mais romantisme, sans hésiter. Globalement les fantasmes romantiques sont aussi mes fantasmes. 

Les derniers mots sont pour toi... 

Que dire d'autre sinon un grand merci ! Tes questions étaient vraiment pertinentes et c'était un plaisir d'y répondre. Merci également de me laisser l’opportunité de clore cette interview. J'espère que quelques vaillantes âmes auront trouvé le courage de lire jusqu'au bout malgré une longueur conséquente. Après relecture je trouve un peu dommage de voir autant de vanité dans mes réponses, mais tant pis, je vais laisser comme ça. Ça va ça vient.

Je voulais aussi remercier la communauté dungeon synth de France (et du monde). C’est un milieu très accueillant et bienveillant. Étant novice et de sexe féminin (deux potentiels handicaps pour m’intégrer), je n’ai ressenti aucune réserve à mon égard. Les gens s’entraident. J’ai été surprise de voir à quel point la mentalité était bonne ! Un point très appréciable que je ne pourrais malheureusement pas accorder au milieu black metal dans son ensemble. Bon, je me suis assez exprimée. Je finirai par ces simples mots : Longue vie au dungeon synth de France et d’ailleurs !


Lien bandcamp :
https://arsule.bandcamp.com/ 


vendredi 4 mai 2018


TROGOOL - interview mai 2018

Cela fait déjà quelques lunes que les réalisations de Trogool tournent à plein temps chez moi. Fort d'un dernier album qui lui a ouvert les portes de la reconnaissance internationale, c'est tout naturellement que le contact avec Bryan, la tête pensante de ce projet à la croisée du Dungeon et de la Fantasy, a pris jour sous la forme de cette interview. Je remercie au passage Maxime du site Heiðnir Webzine pour la remarquable traduction de cet entretien . (Interview in English)

Bonjour Bryan. Merci d’avoir répondu favorablement à cette demande d’interview, commençons par le début… Je n’ai pas pu trouver d’informations sur ton projet sur internet, peux-tu en présenter la genèse ?
Bonjour et merci d’avoir pris le temps de réaliser cette interview. J’ai tendance à trouver l’origine des choses difficile à décrire. C’est aussi simple que : « un jour je me suis réveillé et j’ai eu envie de faire un album de dungeon synth. » J’ai toujours été intéressé par la perspective de composer ce genre de musique, et j’ai essayé pendant plusieurs années. Entre 2013 et 2015, j’étais moi-même dans une période de redécouverte musicale après avoir terminé quelques projets, et j’ai décidé de me mettre sérieusement à la musique orchestrale virtuelle. J’ai remarqué ce cela demandait beaucoup de temps, d’énergie et d’argent, mais je ne savais pas réellement comment faire les choses convenablement, tout comme j’ignorais qui écouterait ma musique. J’étais alors en train de me rééduquer musicalement et de faire de réel progrès lorsqu’un ami me fit découvrir Arath. Après avoir découvert Arath, Murgrind et Grimrik, j’étais en quelque sorte encouragé à trouver quelque chose de bon et de bien présenté qui était dans la même veine de ce que je voulais obtenir, et j’ai senti qu’une audience avait été trouvée pour ma musique.

Auparavant, je suivais de près la face « new wave » du dungeon synth, mais je n’ai rien trouvé d’aussi intéressant que dans la période Era 1 de Mortiis, ou les autres genres ambiants, symphoniques ou folk que j’écoutais déjà. De façon intéressante, mon idée initiale était de faire une espèce de synth FM, un peu comme Abandoned Places, qui est pour moi le plus mémorable des projets de new wave que j’avais écoutés à ce moment-là. Mais mes habitudes musicales étaient trop mélodiques et dynamiques pour ce genre d’approche, donc je me suis naturellement retourné vers la musique orchestrale que je faisais déjà.

Mon choix dunsanien (adjectif faisant référence à Lord Dunsany, l’un des pères de la fantasy moderne, et à la fantasy qui s’en inspire, ndlr) et portant sur d’autres thématiques similaires n’était pas arbitraire non plus. Comme beaucoup de fans de metal j’étais très intéressé par les groupes ayant exploré des thématiques mythologique et fantastique, mais je n’étais peut-être pas suffisamment à l’aise avec ça. Mes propres concepts et paroles étaient très personnels, même lorsqu’ils venaient d’autres sources. Mais je voulais faire une pause avec la musique comprenant des paroles, donc le moment semblait être venu d’explorer ce qui pouvait marcher et ce qui ne pouvait pas au sein d’un cadre dans lequel je devais travailler. La littérature a toujours été une grosse influence, et j’ai toujours trouvé les histoires dunsaniennes de Lovecraft (et par extension le travail de Dunsany lui-même) très inspirantes pour la musique instrumentales. J’ai continué à travailler sur ces idées, par intermittence, et finalement ça a fonctionné.

Comment décrirais-tu ta musique à quelqu’un qui n’a jamais écouté Trogool ?
J’utilise généralement des termes simples tels que fantasy music ou musique symphonique/orchestrale, ou je décris avec les termes épique et atmosphérique, et je laisse les gens se faire leur propre opinion. Je suppose que ça dépend des gens.

Quels sont les artistes qui ont fait naître en toi l’envie d’être musicien ? Par extension, quelles sont les sources d’inspiration qui se cachent derrière Trogool ?
Je pense que, comme pour beaucoup de monde, mes inspirations viennent de très loin dans mon passé, et ne sont probablement pas très prévisibles. Je suis à peu près sûr que j’ai commencé à vouloir faire de la musique très jeune. J’ai toujours adoré la musique de mes films et jeux vidéos préférés, et j’ai vite compris la connexion qu’il existe entre la musique et les autres types de médias. J’aimais déjà beaucoup la musique au sens large quand j’étais jeune avant de découvrir le Metal, mais bien sûr, il s’est passé quelques années avant que je m’identifie réellement comme un mélalleux souhaitant jouer comme un broyeur. Je m’y suis mis sérieusement quand j’ai eu ma première guitare, à dix ans. Je voulais être aussi bon qu’Eric Johnson, malheureusement je n’ai toujours pas appris « Cliffs of Dover. »

Comme j’ai toujours aimé les bandes originales et la musique orchestrale, j’ai naturellement gravité autour des groupes de Metal intégrant ces éléments à leur musique. L’un de mes plus anciens souvenir est celui de m’être fait emporter par la copie de l’album de Celtic Frost To Mega Therion, que j’avais prise à mon frère quand j’avais douze ans. Les cuivres, les guitares et les timbales faisaient effet. Je ne m’attendais pas à cela. Lorsque j’étais adolescent j’ai été impressionné par les titres non Metal de Finntroll et Bal-Sagoth, qui faisaient office d’intro et d’outro, et qui étaient presque comme des pistes au sein d’autres pistes que l’on pouvait fredonner au même titre que les pistes conventionnelles. J’avais dit à un ami que cela serait génial qu’un artiste construise uniquement sa musique autour de cela et il me proposa de me pencher sur Mortiis. 

Je dirais que ce fut un moment charnière dans ma vie, lorsque mon intérêt pour la musique orchestrale virtuelle décolla. J’ai commencé à essayer de comprendre comment c’était fait et comment ça pouvait être fait. Cela me donna une espèce de voie à suivre de manière assez naïve. Les gens mentionnent souvent Basil Poledouris comme l’une de mes influences, et c’est absolument vrai. Mais tout ce qui touchait à l’épique, à la fantasy et à l’atmosphérique était dans ma ligne de mire à l’époque. J’ai été profondément marqué par Jurassic Park et par sa bande originale à l’âge de huit ans je dirais. À ce moment-là, une chose que j’aime évoquer parce que c’est le moment le plus inspirant de ma vie, mon frère me montra le jeu de SNES Ogre Battle – The March of the Black Queen alors que je devais avoir six ou sept ans. Encore maintenant, la majorité de la musique de ce jeu sonne comme de la magie pour moi.

Le travail de Tolkien est très régulièrement cité en référence, aussi bien dans la scène Metal que dungeon synth… Mais Trogool s’inspire d’un auteur moins connu en France et en Belgique, Lord Dunsany. Pourquoi ce choix ?
Comme je l’ai dit plus tôt, l’approche dunsanienne n’est pas arbitraire. Tolkien est merveilleux, mais tant d’artistes s’en inspirent déjà… Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir besoin d’ajouter quoi que ce soit. Je préfère écouter la musique inspirée par Tolkien que d’en faire par moi-même. Tolkien est peut-être moins une source d’inspiration évidente pour moi, mais j‘ai souvent regardé les peintures sur l’univers de Tolkien de Roger Garland pour m’en inspirer.

Il y a beaucoup d’auteurs et de thèmes dont je voudrais m’inspirer, mais tout a marché pour l’instant. Je ne voulais pas choisir quelque chose au hasard pour faire du dungeon synth. Je voulais que ça soit un peu plus profond que ça, parce que je travaille mieux quand il y a une réelle connexion avec quelque chose, même si c’est un concept simple ou une image. J’essaie toujours de faire les choses et peu importe ce qui vient à moi.

Quand j’avais quinze ans, j’ai emprunté quelques livres de Lovecraft à un ami, et c’est comme ça que j’ai découvert le style dunsanien. J’ai été totalement pris par le Cycle du rêve, que j’ai relu à plusieurs reprises depuis. Dunsany est venu un peu plus tard, après avoir assimilé Lovecraft et obtenu un diplôme en écriture et littérature. Dunsany me donna plus de ce style poétique et rêveuse que j’aimais tant. Le flou, le langage poétique, l’atmosphère générale… Tout est fait pour stimuler mes flux créatifs. C’est plutôt littéraire, et les idées les plus profondes sont contenues dans des expressions mémorables parfaites pour illustrer des titres.

Le mot « Trogool » provient du travail de Lord Dunsany. Il est brièvement expliqué dans la chronique à propos d’In the Mists Before the Beginning ce que cela signifie. Mais qu’est-ce que cela signifie pour toi ?
Trogool personnifie des concepts que je trouve très intéressants. Dans le livre Les Dieux de Pegāna, Trogool et son livre sont au-dessus des Dieux, ils représentent une force inexorable, impersonnelle, et qui ne peut être contrôlée par qui que ce soit, homme ou dieu. Je trouve aussi quelques parallèles intéressants entre Trogool et le travail de certains auteurs tel que Joseph Campbell, ainsi que d’autres mythologies. Dunsany est souvent plutôt précis avec ses Dieux, mais Trogool – qui n’est pas un dieu – est connu dans de nombreux régions sous de nombreux noms. Ce qu’il représente se situe au-delà de toute représentation ou de toute adoration.

C’est un thème que j’explore constamment, cette idée qui veut qu’il y ait quelque chose qui nous pousse continuellement à créer et explorer, mais qui ne peut être directement connue ou comprise. Campbell appelle ces choses les masques de Dieu. Évidemment ça n’est pas le cas à 100% chez Dunsany, parce qu’il nous a déjà donné beaucoup de dieux assez simples. Mais Trogool ajoute des perspectives à l’univers de Dunsany. Il est comme une force de la nature. Le personnage Temps est aussi un peu comme Trogool, mais Temps est plus calculateur et malicieux, Trogool existe simplement.

Lorsque j’ai commencé à réfléchir à ce projet, j’étais certain de ne pas vouloir quelque chose de banal. Je voulais qu’il ait sa propre personnalité. J’ai travaillé avec Wappenschmied sur le logo et on était d’accord sur le fait qu’il faille éviter les mjöllnirs ou ce genre de chose. Je suis fier de ce qu’il a fait, je pense que c’est une belle représentation visuelle de ce qu’est réellement le projet. Je suppose que Trogool en tant que personnage reflète mon besoin inné de tout rendre compliqué et existentiel. Mais je pense que ça laisse aussi de la place à la variété en n’étant justement pas trop spécifique avec les thématiques. Ma musique n’a donc pas à rester fidèle à quelque chose de précis, donc c’est plus facile de la garder fraîche et nouvelle.

En laissant le travail de Dunsany de côté qu'on a déjà abordé auparavant, je suis presque sûr que la littérature fantastique est une grosse source d’inspiration pour toi. Peux-tu nommer trois livres que tu recommanderais à nos lecteurs et qui t’ont particulièrement marqué ? Que lis-tu en ce moment ?
En ce moment je lis surtout des écrits académiques, à savoir The Song of the Earth par Jonathan Bate, et je suppose que j’ai déjà recommandé Dunsany et Lovecraft. Mais même si c’est dur d’en choisir trois, voici trois séries dans une veine fantasy ou science-fiction :

1) L’Arcane des Épées, de Tad Williams (qui commence avec Le Trône du Dragon)
2) Cycle de Terremer, d’Ursula K. Le Guin (qui commence avec Le Sorcier de Terremer)
3) Les Cantos d’Hypérion, par Dan Simmons (qui commence avec Hypérion)


Quand j’ai vu que tu étais originaire de l’Illinois, j’étais plutôt surpris. Les inspirations médiévales viennent principalement des traditions européennes… Es-tu déjà venu en Europe ?
Je suis venu en Europe une seule fois quand j’étais jeune. Malheureusement je ne suis pas revenu depuis. Je suppose que mes intérêts sont juste européens ! Je ne considère par Trogool comme étant réellement médiéval cependant. Fantasy est plus approprié je pense.

Tu n'as droit qu'à un seul Joker haha !
Mortiis ou Depressive Silence ?
Mortiis, évidemment. J'ai cependant écouté un peu Depressive Silence et ce que j'en ai retiré était plutôt bon..
"Conan The Barbarian" ou "The Neverending Story" ?
Conan ! Bien que l'Histoire sns Fin soit dans la veine de Lord Dunsany mais ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu !
Tolkien ou Michel Moorcock ?
La tu me tues ! Tolkien, peut-être, bien que j'adore Moorcock, et particulièrement la série des Von Beck !
- Krull ou Willow ?
Impossible de choisir, ce sont deux de mes films préférés !!!!!!!
Zelda ou Castlevania?
Castlevania c'est génial !!! Mais les premiers Zelda ont ce côté nostalgique que j'apprécie.
Elfes ou Nains ?
Je trouve que je suis loyal envers les Nains, au moins dans les jeux vidéos.
Vikings ou Game of Thrones ?
Je n'ai pas vraiment suivi ces séries. Peut-être GOT pour les deux ou trois saisons que j'ai regardées.
- Bières belges ou vins français ?
Sans aucune contestation, bières belges !!!!
Stormy Daniels ou Melania Trump ? (haha)
Arghh, puis-je plutôt prendre Krull et Willow à la place ?

Si ce n’est pas trop indiscret, quelles sont tes convictions philosophiques et spirituelles ? As-tu déjà vécu une expérience spirituelle qui pourrait expliquer l’aspect mystique de ta musique ?
Je pense que j’en ai déjà fait mention en parlant de Trogool et de Joseph Campbell. Je n’ai pas de foi ou de croyance spirituelle, juste des idées philosophiques. Je ne crois en aucun dieu, mais je suis très intéressé par les aspects psychologiques et métaphoriques de la créativité humaine, et comment l’on voit et interagis avec le monde. Les gens disent souvent que le fait d’expérimenter la nature est spirituel, et je suis plutôt d’accord. J’aime toujours passer du temps dans la nature et j’apprécie les longues randonnées dans de beaux coins sauvages.

Beyond the River Skai est pour moi l’un des meilleurs albums de dungeon synth sortis à ce jour… Travailles-tu sur un nouvel album ?
Merci ! Je suis content que tu l’apprécies. Oui, la troisième sortie de Trogool (le deuxième album longue durée) est terminée. Il y a juste quelques petites choses à régler et la sortie pourra être planifiée.

Les derniers mots t'appartiennent...
Encore merci pour ton intérêt envers Trogool. Gardez un oeil sur la prochaine sortie, qui verra le jour cette année. Et comme Dunsany est maintenant traduit en français, je vous souhaite une bonne lecture !